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Mambo CECILE FATIMAH

CAPOISE - 1729 – 1841 

Il nous a été fait grâce de pouvoir affirmer que celle que nous connaissons en tant que tante Cécile Fatimah était née d’une mère afrikaine et d’un père corse. L’auteur de cet article le dit ainsi :

 

« Prêtresse du Vaudou, née en Afrique.  Fille d’un prince corse et d’une Noire.  Elle fut vendue à Saint-Domingue avec sa mère. »[1]

 

Pendant plusieurs années notre recherche n’a cessé de questionner : Ce prince corse avait-il épousé, violé ou s’était-il placé en union libre avec la mère de Fatimah ?  Si union il y eut, ce corse était-il le père des deux frères de Fatimah ?  S’ils avaient vécu en famille, dans quelles conditions a-t-elle été vendue à Saint-Domingue avec ses enfants ? L’Écossais était-il complice de ce marché outrageux ?  Tant de questions jusqu’ici restées longtemps sans réponse.  Mais, le fait de poser des questions permet de sortir soit de l’absence totale d’information ou d’un rabâchage inconditionné de données disparates alignées pêle-mêle sur des feuilles de papier. Aujourd’hui plusieurs d’entre elles ont reçu des réponses.

 

‘Fatiman, {dit plus loin le même auteur,} est, s'il en fut, un prénom musulman…’ là, il se trompe, le prénom musulman est Fatimah.  Lequel signifie celle qui détient une foi inébranlable et, par conséquent, inspire la confiance.   Selon nos traditions ancestrales : afrikaine et tayno, le nom est toujours porteur de significations.  Il met à découvert des potentiels à développer ou indique la direction d’une réalisation à matérialiser. La philosophie Dogon nous enseigne que :

« A la naissance le petit être n’est qu’une chose jusqu’à ce que son père ou une prêtresse lui souffle son nom à l’oreille.  Ce n’est qu’à ce moment, qu’il devient détenteur du principe magara, son potentiel spirituel et du principe buzima, son potentiel intellectuel, alors, il devient humain. »[2] 

 

Avec Fatimah, le principe est appliqué, le nom du personnage est déjà indicatif du rôle prépondérant que jouera celui-ci dans les temps forts de la vie de la collectivité.  Étant donné qu’il n’y a pas de hasard, Fatimah sera celle qui avivera la confiance des conviés du Grand Congrès de 1791, nommée le Congrès des Clairières.

 

Mais ne devançons pas le récit, il faut d’abord imaginer la jeune Fatimah devenue Cécile par imposition esclavagiste.  Il faut la voir montée sur les blocks d’un marché pour la vente aux enchères d’humains selon la bestiale coutume dominguoise de l’époque, supportée par la loi française.  Nous devons revivre tous ces Blancs excités ouvrant la bouche de la jeune fille pour évaluer sa dentition ; palpant ses seins ; les plus grossiers se permettaient aussi de vérifier l’anus. Après que des dizaines d’inconnus se soient autorisés toutes sortes de contacts physiques en l’examinant tel un animal, il est permis d’imaginer cette jeune fille pleurant à chaudes larmes, d’humiliation et de honte.  Pourtant, elle n’était pas encore au bout de ses peines.

 

[1] Finesse, ed. Spéciale, p.10

[2] Janheinz, Jahn, (), MUNTU, p.125

A présent, le directeur des ventes demandait aux acheteurs de prendre place et à coups d’insultes et de menaces, car il ne pouvait pas utiliser le fouet dans ce moment précis pour ne pas endommager sa marchandise et de ce fait diminuer ses profits ; il fait monter sur scène la douzaine d’Afrikains qui seraient simultanément mis en vente.  C’était probablement, l’une des rares situations où la victime de l’esclavage était placée en position supérieure et l’esclavageur était forcé d’élever les yeux pour la regarder.  Un à un, des Afrikains de toutes ethnies confondues : Aoussa, Peulh, Bambara, Foulani, Yorouba, Wolof, Ewe, Fon, Kongo, Ibo… occupent l’avant-scène et, des Blancs appréhensifs et surexcités criaient à tue-tête leurs offres.   

 

Par le biais de ce marché répugnant, la jeune Fatimah perd, dans un premier temps, le contact avec ses deux frères disparus dans les méandres de la traite ; dans un second temps, elle perd de vue sa maman aussi. 

 

Très souvent, en contant les récits se rapportant à notre expérience historique selon une mentalité esclavagiste, nul ne se soucie de soulever les traumatismes psychologiques subis par ces millions de familles afrikaines, nos Ancêtres, qui ont été forcées d’endurer cet effroyable système.  En général, les soi-disant faits historiques sont étalés sans tenter de mettre en question le point de vue des références utilisées (colonialiste et esclavagiste ou ex-esclave formé par l’esclavageur ou ses descendants) ou l’angle de l’auteur, ni élucider les torts, ni tenter de rendre aux nôtres un peu de leur humanité volée et cachée.  Toute cette accumulation d’injustices se fait au nom d’une soi-disant science ainsi qu’une prétendue objectivité.  Il est clair, qu’en dépit du fait que nous manquons de faits palpables directement liés à la vie de Cécile Fatimah en tant qu’individu, nous devons profiter de sa biographie pour familiariser le lecteur avec des faits connus sur l’esclavage qui permettent aux jeunes comme aux érudits de comprendre le système dans lequel elle avait évolué afin de mieux appréhender sa vision, capter sa démarche ainsi qu’apprécier ses réalisations, s’il y en a eu.

 

Il serait tout aussi souhaitable de vérifier le sens du nom d’imposition : Cécile. Voici ce que nous donne un dictionnaire des prénoms :

 

« La présence importante du nombre 1 dans ce prénom donne à Cécile un caractère affirmé, indépendant, énergique et volontaire. Elle est autoritaire et entend gérer sa vie et parfois aussi celle des autres... Sensible à son image de marque, elle est disciplinée, exige beaucoup d'elle-même et aime donner l'exemple. Elle se montre franche, directe et loyale. »

 

En tout cas, la jeune fille grandit, semble-t-il, sans trop changer de plantation, ce qui revient presque toujours à dire, qu’elle a vécu un temps, tout au moins, en exhibant un degré important de soumission au système esclavagiste.  Il a même été rapporté qu’au départ, elle avait été en servitude dans la grande maison.  Nous n’avons pas pu trouver d’information sur la cause pour laquelle elle fut expulsée aux travaux des champs.  En général, lorsqu’on passe du service de maison aux travaux des champs cela représente, à coup sûr, une punition. Souvent, il est lié à une décision de la colonne pour éloigner celle-ci du regard de son colon.

Cette jeune femme noire aux yeux vert vif ne pouvait passer inaperçue.  Elle a dû, bien souvent, être ordonnée dans les lits des esclavageurs tout autant que sollicitée dans ceux de ses compagnons de douleur durant ses années de jeunesse.  Peut-être avait-elle cessé de tolérer que les esclavageurs s’imposent à elle sexuellement ; peut-être avait-elle ouvertement exprimée qu’elle souhaitait se lier à l’un des siens ; peut-être, avait-elle montré de l’affection pour son enfant et fut punie, d’une part, en vendant l’enfant loin de cette plantation, et d’autre part, en exilant la mère aux champs.  Toutes ses propositions sont des habitudes courantes du système esclavagiste.  Pourtant, pas un seul des documents biographiques consultés ne mentionne si oui ou non, elle avait eu des enfants. Il en est ainsi car, les auteurs qui représentent les références initiales ne considèrent pas Fatimah comme une personne, ainsi ils n’inscrivent aucune donnée susceptible de rendre visible son humanité.

 

Puisque on la trouve travaillant dans les champs à un âge avancé, cela nous porte à croire qu’à un moment de la durée, elle avait changé d’attitude par rapport à son degré de soumission à la volonté des esclavageurs.  Mais puisque tout passe, ces moments-là aussi ont passé. 

 

Il est de notoriété publique orale et écrite que, tante Fatimah s’est faite une solide réputation, dans le domaine des soins naturels et surtout, des accouchements difficiles réussis.  Finalement, son âge très avancé, la libère des travaux des champs.  Comme la plupart des femmes âgées noires qui sont libérées des travaux des champs, elle ne saurait faire partie de la domesticité de la grande case.  Semble-t-il, qu’elle avait, dorénavant, pour taches : la garde des bébés et des jeunes enfants noirs. 

 

Il faut savoir que les femmes noires qui étaient choisies pour s’occuper des nouveau-nés blancs étaient obligatoirement en âge de reproduction et n’avaient pas le droit d’allaiter leurs propres bébés puisque, leur lait était choisi et exclusivement réservé aux enfants des esclavageurs. Au cas où il n’y aurait aucun nouveau-né blanc à allaiter sur une plantation donnée, l’esclavageur s’arrogeait même le droit de louer leurs seins et, de vendre le lait qui s’y trouvait dans des plantations avoisinantes.   Les pages des revues telle ‘Observateur Colonial’, ‘La Gazette Royale’ de l’époque sont remplies d’avis offrant ‘des seins de Négresses nourrices regorgeant de lait à louer’.

 

Notre recherche nous a permis de constater que les accoucheuses de réputation avaient l’opportunité de voyager de plantation en plantation pour leur travail.  Par ce biais, tante Fatimah aurait eu l’opportunité de se déplacer et de rencontrer ceux qui dans les différentes plantations deviendraient les conviés au Congrès.  C’est aussi dans ce cadre qu’elle aurait appris à bien maîtriser la géographie d’une bonne part du pays. 

 

Le fait de ne plus être affectée aux travaux des champs lui offrait l’opportunité de journées assez libres ici et là.  N’attirant plus le regard des hommes, ces nuits sont absolument siennes.  Bien des recherches semblent indiquer que, dépassant la soixantaine, tante Fatimah se donne corps et âme à la révolution qui couve.  Elle répond présente à toutes sortes de réunions et s’engage à prendre tant de risques pour offrir sa contribution.  Certains chercheurs, dont le professeur Edward Scobbie de Sainte Lucie, estiment qu’elle avait investi plus de deux ans dans l’organisation du Congrès des Clairières (Bois Caïman).  Nous sommes convaincue aujourd’hui qu’elle y a investi près de quatre ans.

 

En effet, tante Fatimah est déjà autour de la septantaine lorsqu’elle apparaît en tant que la principale organisatrice du Congrès.  Elle se déplaçait très souvent de nuit, de plantation en plantation, pour aller convaincre nos sœurs et frères emprisonnés dans les chaînes de l’esclavage à prendre les risques qui s’imposaient afin de participer au Congrès des Clairières.

 

Attention, ce n’était pas chose facile pour une personne attachée par les ferrailles de l’esclavagisme de se mouvoir, même d’un côté à l’autre de la plantation où elle était détenue, voire d’une plantation ou ville à l’autre.  Tout déplacement doit être dûment autorisé par le commandeur ou l’esclavageur.  Tout rassemblement d’Êtres Noirs était puni.  Tout déplacement non autorisé était durement châtié.  Souvent en coupant une jambe ou un pied à la personne concernée.  Pourtant, ces lois n’ont pas empêché à Madame Cécile Fatimah de prendre tous les risques qu’il fallait, de nuit comme de jour, pour visiter pendant les années qu’il fallait ses congénères enchaînés afin de les convaincre de participer à cet important Congrès.

 

Concernant les activités de tante Fatimah durant l’organisation de ce Congrès la mémoire collective a retenu et les griots interviewés dans le nord, nord-ouest et centre de Ayiti ont dit :

 

« Cécile Fatimah était une très belle et vielle mambo qui possédait l’art de disparaître, c’est pourquoi on pouvait la remarquer profondément endormie dans sa case, tandis qu’en fait, elle était à Saint-Marc entrain de régler des choses sérieuses.  Tante Cécile connaissait l’art des déplacements rapides dans le temps, en une seule nuit elle pouvait quitter le Cap au coucher du soleil, aller à Saint-Marc régler des affaires sérieuses liées au Congrès et revenir au Cap avant le lever du soleil.  Mambo Fatimah/Fatiman était une femme de grands talents, mais c’était son courage, sa détermination et sa grande connaissance de la géographie de l’île qui lui permettait de couvrir d’immenses distances dans des temps record.  Grann Fatimah connaissait bien toutes les grottes du pays, hors les grottes sont liées entre elles, avec cette connaissance elle pouvait faire Cap-Saint-Marc en moins de deux heures et étant une fine cavalière, elle attrapait un cheval pour rapidement arriver à Montrouis et par les mêmes moyens retourner au Cap avant que le soleil ne luise. »[1]

 

Bien des lecteurs diront que ce paragraphe n’est pas de l’histoire.  A vous, je dis : c’est l’histoire de la grande majorité des Ayitiens écrit dans leur façon quotidienne de s’exprimer.  C’est l’histoire formulée selon la culture ainsi que la pensée profonde des Ayitiens.  Écoutez parler au quotidien vos compatriotes et vous verrez combien leur langage ressemble à celui-ci.  Enfin, je vous dirai que c’est l’expression naturelle des Peuples Primordiaux, c’est-à-dire, de ceux qui pensent, parlent et agissent selon une foi profonde qu’en tout, l’esprit est primordial et la matière secondaire et dépendante.  Continuons à écouter notre expression de notre expérience à travers les actes d’une des nôtres, tante Fatimah :

 

« Parmi toutes celles et tous ceux qui ont joué un rôle prépondérant dans l'histoire de notre pays, une place de choix doit être faite à Madame Cécile Fatimah, l'une des principales organisatrices du Congrès des Clairières.  A ce Congrès, de nombreux fils et filles de "Lafrik Ginen" s’étaient réunis pour définir une stratégie capable de libérer cette terre du joug criminel de l'esclavage afin d’offrir un avenir meilleur à leurs enfants. »[1]

 

[1] Conversations orales collectées dans le Nord, Nord-ouest, Artibonite, 1980, 81, 94

Les ouvrages ont peu de détails sur l’organisation d’un moment vital de notre vie de Peuple, le Congrès des Clairières.  Ils n’offrent aucune analyse de l’objectif visé, aucun inventaire des obstacles à surmonter. En fait, en général, les manuels donnent à nos enfants l’impression que, ce fut, soit une banale cérémonie vodouesque, et cette appellation est utilisée avec le plus royal dédain, soit une rencontre pêle-mêle d’ignorants fanatiques.  Prenons cet ouvrage-ci en exemple :

 

« Pour faire tomber toutes les hésitations et obtenir un dévouement absolu, il {Bookman} réunit, dans la nuit du 14 août 1791, un grand nombre d’esclaves, dans une clairière du Bois-Caïman, près du Morne-Rouge.  Tous étaient assemblés quand un orage se déchaîna.  La foudre… {plus de six lignes sur les intempéries du moment.} 

Au milieu de ce décor impressionnant, les assistants, immobiles, saisis d’une horreur sacrée, voient une vieille négresse se dresser.  Son corps est secoué de longs frissons ; elle chante, pirouette sur elle-même et fait tournoyer un grand coutelas au-dessus de sa tête.  Une immobilité plus grande encore, une respiration courte, silencieuse, des yeux ardents, fixé sur la négresse, prouvent bientôt que l’assistance est fascinée.  On introduit alors un cochon noir dont les grognements se perdent dans le rugissement de la tempête.  D’un geste vif, la prêtresse, inspirée, plonge son coutelas dans la gorge de l’animal.  Le sang gicle, il est recueilli fumant et distribué, à la ronde, aux esclaves ; tous en boivent, tous jurent d’exécuter les ordres de Boukman. »[2]

 

Quel gaspillage, que de faire mémoriser tant d’informations stériles à de jeunes cerveaux.  Quel crime, que d’atrophier la capacité de réflexion d’un futur dirigeant en gonflant dans son crâne une masse de paroles inutiles, des mots qui n’apportent ni compréhension de son passé, ni lumière pour son avenir.  Et pourtant, on voudrait lui faire croire qu’on lui enseigne son histoire.  Bien sûr, si Monsieur Bookman Dutty est caricaturé et toute sa personnalité enfermée dans quatre descriptifs : ‘N’Gan ou prêtre Vaudou’, ‘force herculéenne’, ‘commandeur’, et ‘cocher’ que peut-on dire de cette femme anonyme ?  Il nous faudrait écrire un livre pour souligner tous les accrocs à la culture haïtienne présents dans ce texte # 41, de moins d’une page, intitulé Boukman.  Mais, ce n’est pas l’objectif de ce rapport.  Cependant, une dernière remarque s’impose.  Cette phrase : ‘tous jurent d’exécuter les ordres de Boukman’ est en contradiction catégorique avec l’esprit du Congrès et le discours de Bookman lequel conclue : ‘Koute vwa libète ki pale nan kè nou chak’.  A la question qui dirigera la guerre ?  Bookman avait répondu : Ecoutez la voix de la Liberté qui s’exprime en chacun de nous.

 

La mémoire collective a ainsi décrit cette rencontre :

 

« Cette nuit, en dépit du climat, a été merveilleuse !  Cette rencontre nocturne des Arada, Bambara, Créoles, Dogon, Éwé, Ibo, Kongo, (Métis), Mina,  Nago, Peul, Wolof… vivant dans l’enfer de Saint-Domingue, se réunis dans l'épaisseur d'une forêt, ce que nous, Ayitiens, appelons, communément un bois, que la foudre éclairait par intervalles, ce dimanche 14 août 1791.  Cette rencontre laisse des traces d’une fantastique mobilisation, d’une extraordinaire organisation, d’une incroyable créativité démontrée, lesquelles ne seraient d’aucune valeur sans l’ordre, la discipline, la rigueur, 

le courage et la détermination dont avait fait preuve tout un chacun.  La longévité de tante Fatimah, lui a permis de raconter à plus d’un et même à des journalistes, son expérience dans cette ‘étape marquante de l’épopée ayitienne’, comme elle aimait se référer à la nuit du 14 août 1791.

Des sentinelles postées sur tout le chemin, perchés dans les arbres, cachés dans les buissons, étaient accoutrés des styles les plus bizarres pour camoufler leurs présences.  Pour éviter les surprises désagréables, les interruptions imprévues, ceux qui montaient la garde s’exprimaient en produisant à la perfection les sons de différents animaux nocturnes, tel le hibou.  Ceux qui étaient responsables de la gestion des mots de passe, étaient muets et répondaient exclusivement par des gestes.  » [1]

 

[1] Interviews recueillis sur cassette audio en 1978, 79, 81, 82 à Ayiti

[2] FIC, Manuel D’HISTOIRE D’HAITI, par J.C. Dorsainvil, (1969), Éditions Henri Deschamps, Port-au-Prince, pp. 66,67

Eh oui, ces Afrikains (Personnes récemment kidnappé d’Afrik, connaissant peu les coutumes dominguoises et mal la langue locale.), ces Créoles (Ce terme se réfère à l’Afrikain né sur l’île, par conséquent dans l’esclavage donc, ignorant tout d’une autre manière de vivre, surtout, d’une manière autre qu’esclave de se percevoir mais, maîtrisant parfaitement la langue créole.), ces Noirs Libres et ces Marrons arrivés dans la clairière en question, s’asseyaient par terre, sur une pierre ou une branche basse ou desséchée.  Arrivés de Port-Margot, Limbé, Acul, Petite-Anse, Limonade, Plaine du Nord, Quartier-Morin, Morne Rouge etc. , ont tenté de s’installer en petits cercles à l’intérieur de plus grands cercles pour débattre cette unique question qu’allons-nous faire afin que nos enfants et petits-enfants ne subissent les misères que nous sommes en train de vivre présentement ? 

 

Les interviews rassemblées dans le Nord, le Nord-ouest, l’Artibonite, l’Ouest et le Centre ont apporté ceci :

 

« Les va-et-vient nocturnes continus de tante Fatimah des mois durant dans ses efforts de monter l‘organisation de l’événement sont incroyables.  Des bureaux étaient montés dans chaque zone pour mobiliser les participants et garantir leurs présences au Congrès.  Nombreux sont ceux qui répètent qu’on avait tenté d’avoir une personne sachant lire et écrire afin de (dresser des procès-verbaux) laisser des traces écrites pour nos enfants.  (Ceci à notre avis, indique une démarche contraire au fonctionnement du marron qui souhaite, en général, camoufler ses activités et éviter tout risque d’informer son ennemi.  Mais, il se pourrait aussi que le Marron ayant réalisé, qu’ils agissaient, dorénavant, dans le sens d’un changement catégorique, il a opté pour une manière d’agir qui garantirait la suite des activités.  Il n’est pas non plus impensable que cette démarche représente l’influence de la minorité d’affranchi impliquée dans cette activité.)  Tous affirment que tante Fatimah a planifié toutes les rencontres et a dirigé la rencontre du Morne Rouge. Ils sont tous réunis pour débattre une seule question : Qu’allons-nous faire afin d’épargner nos enfants et petits-enfants à subir l’esclavage ?  Quelles actions prendrons-nous pour assurer que nos enfants ou nos petits enfants connaissent la liberté ?»[2]

 

Parmi les noms de participants continuellement cités, il y a toujours tante Fatimah, Romaine La Prophétesse, Bookman Dutty, Innocent, Dieudonne, une jeune parente à tante Fatimah ; souvent on nomme : Jambe Coupée, Paul Louverture, Toussaint Louverture… Rarement on cite Henriette St-Marc, encore plus rarement Jean-Jacques Dessalines.  Le fait de parler de bureau monter pour produire et préserver des comptes rendus des différentes rencontres pour la postérité figure aussi dans l’œuvre de Prince Sanders ainsi que des documents de la Bibliothèque de Berne, Suisse.

 

 

[1] Interviews recueillis sur cassette audio en 1978, 79, 81, 82 à Ayiti

[2] Interviews recueillis sur cassette audio en 1978, 79, 81, 82 à Ayiti

Certains textes garantissent que tante Fatimah à œuvrer à la conception, l’organisation et la gestion de toutes les rencontres constituant le Congrès des Clairières sur l’île entière. C’était elle qui donnait la parole aux intervenants.   L'un d'eux prit la parole voulant retracer avec véhémence la conduite injuste et inhumaine de leurs maîtres envers eux.  Tante Fatimah lui enleva la parole en lui rappelant que la question à traiter était de se positionner par rapport à une action ou non pour mettre fin à l’esclavage.  Un autre voudrait vanter à l’assistance les nombreux délices de l'indépendance et de la liberté dont ils allaient enfin jouir. Il fut aussi interrompu et rappelé du thème de l’ordre du jour.  Bien des femmes et des hommes se succédèrent tenant un discours d’inquiétude, de doute, d’incapacité, faisant la liste de tout ce qui manquait aux Noirs avant de pouvoir s’engager dans une lutte contre des Blancs qui possédaient tout.  La peur commençait à envahir l’assistance lorsque la parole fut accordée à notre aïeul, Zamba Bookman Dutty, assumant la profession de hougan par sa volonté propre et occupant la position de commandeur dans le système esclavagiste.

 

Il commença par remercier tante Fatimah qui avait pris tous les risques nécessaires afin de convaincre une bonne part de cette assistance à assumer sa part de risques afin de répondre présente à cette réunion.  Il continua, dans le langage lourd de ceux qui ne sont pas nés sur cette île mais, on ne peut plus clair, ‘plus que tous, tu as mérité de notre confiance, nous te remercions’.  Tante Fatimah semblait vouloir lui enlever la parole lorsqu’il lança sur un ton plus décidé :

 

« Celui qui a créé Soleil, qui fait mouvoir les vagues de la mer, qui contrôle tout ce qui existe, il est votre père et veille sur vous.  Il exige que vous corrigiez le tort qui vous a été fait.  Il promet de vous aider mais le travail doit être le vôtre.  Il ordonne que vous jetiez les symboles et images du Dieu des Blancs, lequel est assidu à sa tâche qui consiste à extraire la vie de vos yeux. Pour vous guider, il vous exhorte à écouter la voie de Liberté laquelle résonne dans chacun de nos cœurs.· »[1]

 

Nous enchaînons avec la réaction au discours de Monsieur Bookman Dutty selon une information recueillie dans la mémoire orale collective :

 

« Ce discours arracha, pour une dangereuse seconde des applaudissements vite interrompus des auditeurs.  Les applaudissements étaient interdits puisqu’il fallait éviter tout ce qui pouvait attirer l’attention en dépit du fait que l’on se savait loin de toute résidence.   Il entraîna aussi des larmes de certains et enflamma dans tous leurs cœurs le désir d’agir dans le sens de la protection de l’avenir et des générations.  L’assemblée toute entière s’écria : vivre libre ou mourir !  Certains impulsifs souhaitaient que le groupe se dirigea immédiatement sur les plantations les plus proches.  Tante Fatimah, aidée de plusieurs autres eurent beaucoup de mal à les calmer.  Ce fut fait seulement après qu’elle leur fit part du fait que des réunions semblables se tenaient dans plusieurs autres localités et qu’il faudrait attendre la décision de chacune des rencontres avant de choisir la date pour une première attaque collective synchronisée et organisée. »[2]

 

Nous avons été surpris de découvrir combien de ses griots ayitiens connaissaient une version de ce que certains historiens ont nommé : la prière de Bookman et que la mémoire orale nomme : Diskou Papa Bookman nan, Discours de Papa Bookman). Notez

 

· Il faut dire qu’il existe un grand nombre de versions plus ou moins semblables de ce texte.

[1] Ros, Martin, (1991), Night of Fire, The Black Napoleon, Sarpedon, NY, p.4 - 

[2] Interviews recueillis sur cassette audio en 1978, 79, 81, 82 à Ayiti

la différence de perception.  Culturellement, c’est un discours, une adresse. Dans la langue eurochrétienne c’est une prière.

 

Une citation qui revient souvent dans les rapports oraux du Nord et du Nord-ouest indique que Bookman a répondu ainsi à ceux qui demandaient où trouverons-nous des armes ?

 

« Tout outil est une arme.  La cuiller avec laquelle tu te nourris est un outil tant que tu manges avec, mais sitôt que tu es attaquée, elle deviendra l’arme avec laquelle tu te défendras contre l’ennemi.  Réfléchis bien, la même chose est vraie pour la chaise sur laquelle tu t’assieds, la serpette avec laquelle tu fais ton jardin, le bois avec lequel tu allumes ton feu.  Tout outil est une arme !  Notre père le Grand Créateur n’a jamais laissé une seule de ses créatures sans défense.  Même la fourmi, la souris, le ver de terre, possède les moyens de se défendre. »[1]

 

Les échanges furent brutalement interrompus par l’arrivée sans invitation d’un vent violent qui annonçait la pluie, accompagné de grondements effrayant de tonnerre et de coups d’éclairs aveuglants.  Les animaux étaient les premiers à la sentir venir et à s’empresser de chercher un abri sûr.  Les personnes les plus averties, elles aussi s’apprêtaient à fuir le mauvais temps.  Mais, tante Fatimah attrapa un porc sauvage et avant de le remettre à Romaine la Prophétesse dit à l’assistance :

 

« Vous dites que vous êtes prêts à combattre l’esclavage et vous allez fuir une petite pluie ?  Ne savez-vous pas que ce changement de climat s’est la voix de notre père qui acquiesce notre décision et la pluie sa bénédiction, nous garantissant le succès ?  Allez-vous courir comme des peureux ou allez-vous, comme des braves, dignement compléter le travail qui nous avait ici réuni ? »[2]

 

L’assemblée resta immobile, dans la pluie, attendant la suite.  C’est alors, qu’une femme, vêtue d'une tunique blanche, la tête recouverte d’un mouchoir et d’un large chapeau, plongea le couteau sacré dans la gorge de l'animal que venait de lui rendre tante Fatimah. Celle-ci s'appelait Romaine.  D’une voix grave et puissante elle ordonna :

 

« Buvez une gorgée de ce sang chaud afin de chasser en vous la peur qui mène à la traîtrise.  Buvez-en une seconde gorgée pour vous approvisionnez de confiance, d’amour, de courage et une troisième pour entrevoir et apprivoiser la liberté ! »[3]

 

L’assistance s’exécuta et d’un geste discret tante Fatimah ordonna que chacun reprenne, par les chemins détournés qu’ils connaissent déjà, la route du retour.  A chaque salutation d’un groupe, elle répondit en posant son index sur ses lèvres.  Ce geste rappelait aux participants la nécessité de garder secret cette rencontre et le sujet qui y a été traité.

 

Il existe maints rapports écrits de cette situation qui avait profondément troublée la colonie.  Ils ne sont pas faciles à détecter mais, Madame Fick, citant le Rapport sur les troubles de Saint-Domingue, offre ce témoignage d’un des participants durant un interrogatoire :

 

« Le dimanche 14 août, sur l’habitation Lenormand de Méziy, une plantation du Morne-rouge, se tint une large assemblée d’esclaves.  Elle était composée de deux délégués de toutes les plantations de Port-Margot, Limbé, Acul, Petite-Anse, Limonade, Plaine du Nord, Quartier-Morin, Morne-Rouge, etc., etc.  Le but de cette ass

 

[1] Interviews recueillis sur cassette audio en 1981, 82 à Ayiti

[2] Interviews dans le département du Nord, Ayiti, déc.1981

[3] Interviews dans le département du Nord, Ayiti, déc.1981

été planifiée il y a déjà longtemps.  Ils étaient sur le point de se mettre d’accord afin d’entamer la conspiration cette nuit même ; mais ils ont changé d’idée car après réflexion, ils ont décidé qu’un projet conçu et réalisé la même nuit avait peu de chance de réussir. »[1]

 

Après cet immense travail qu’est la planification du plus grand congrès jamais organisé par les Noirs en esclavage sur la terre de Saint-Domingue, qu’a fait tante Fatimah ?  Dans l’état actuel de cette recherche ce rapport a peu de faits palpants à étaler après cette date.  Autant, dans toutes les régions du pays on trouve des données concernant tante Fatimah durant l’organisation et le déroulement du Congrès, autant les informations la concernant après le Congrès sont limitées.  Les gens du Sud ignorent quand et comment elle a fait le grand voyage.  Les gens du Nord et de l’Artibonite sont seuls à mentionner qu’elle a vécu plus d’un siècle et une décennie.  Nombreux sont les nordistes qui rapportent avec beaucoup de fierté :

 

« Nous croyons que Cécile comptait parmi les nombreuses femmes armées qui accompagnèrent Boukman sur les Champs de bataille. Plus tard, « elle épousa Jean-Louis Michel Pierrot, qui deviendra président d’Haïti en avril 1845. »[2].  

 

Alors, vous posez-vous cette question : qu’était-ce le Congrès des Clairières ?

 

Ce qui nous est rapporté en tant que la cérémonie du Bois Caïman est en fait une entreprise conçue et planifiée sur quatre années et qui implique l’espace de l’île entière.  Conçue par Tante Cécile Fatimah, elle est planifiée sur 18 espaces de l’île, 12 sur le territoire qui deviendra la République d’Haïti plus tard et 6 sur celui qui sera la République Dominicaine encore plus tard. Seulement 12 eurent lieu, 9 et 3 respectivement. Dans chaque espace quelqu’un est responsable de noter l’essentiel des échanges afin que nos enfants puissent savoir nos efforts et poursuivre la lutte au cas où nous ne réussirions pas immédiatement... Il est prévu que la même nuit des messages seraient envoyés afin de savoir la décision dans chacun des rassemblements. Un système de relais semble avoir été organisé pour la transmission de ces messages. Le même système fut utilisé en sens inverse pour informer les participants et leurs cercles d’influence de la décision d’une date à laquelle entamée la défense des nôtres face à l’odieux système esclavagiste qui bestialise le mental humain tout en mutilant et broyant son corps.

 

Quel rôle a joué la Mambo Cécile Fatimah durant les mois chauds d’août à septembre 1791 ? Notre recherche n’a encore rien révélée.  S’est-elle cachée ? Est-elle rentrée en retraite pour assurer le contrôle spirituel des évènements ? A-t-elle pris les armes aux côtés des autres combattants et combattantes ? Assurait-elle la direction stratégique des actions militaires du Commandant Bookman Dutty ? Ajouter vos questions aux nôtres. Ce sont les questions qui font grandir la connaissance. Ce sont les questions qui augmentent la compréhension.

 

Quelque part entre le 14 août 1791 et le 1e janvier 1804, tante Fatimah épouse un jeune soldat de plusieurs années son cadet, Jean-Louis Michel Pierrot.  Nous avons peu de détails concernant la vie du couple.  Il est certain qu’il n’y a pas eu de progéniture à cette union. Dans le Nord on dit que la Mambo avait prédit que son époux deviendrait président

 

[1] Fick, Carolyn E., (1990), The Making of Haiti, University of Tennessee Press, Knoxville, p. 261

[2] Finesse, édition spéciale, p.10

de notre pays. L’officier Jean-Louis Michel Pierrot gravit les échelons de sa profession militaire, il se fait particulièrement remarquer durant la guerre de l’Indépendance, surtout à Vertières où il commandait un bataillon. Ce général octogénaire est élu président de Ayiti en avril 1845.  À partir de 1798, Tante Cécile Fatimah est mentionnée en tant que paisible citoyenne de la ville du Cap.  Les journaux la ramenèrent à notre attention de temps à autre, la dernière fois, en juillet 1841 annonçant ‘sa mort à l'âge de 112 ans, en pleine possession de toutes ses facultés’.

 

Tous nos efforts pour trouver des personnes pouvant nous parler de Cécile Fatimah dans le sud du pays restèrent vains.  Le grand frère, Etienne Charlier, annonça ainsi la fin de tante Fatimah :

 

« Toutefois, le nom de Cécile Fatimah a encore paru dans les journaux d’époque plusieurs fois, la dernière, pour annoncer sa mort, au Cap-Haïtien, à l’âge de 112 ans en toute lucidité. »[1]  

 

Que pouvons-nous tirer de la biographie de tante Cécile Fatimah ?  La première leçon, à notre avis, est celle-ci : de par le fait, que cette femme commence sa vie révolutionnaire autour de soixante-dix ans, nous constatons que même une vie dans l’esclavage la plus machiavélique est incapable de détruire la force de Liberté dans l’être humain.  La deuxième leçon : que des femmes et des hommes qui, toute une vie, ont été forcée de garder la tête baissée, de se comporter en abruti, de n’avoir aucune opinion, aucun droit autre que celui d’acquiescer, puissent vers la fin de leur vie, se réveiller et exercer des talents qui fassent qu’on les découvre en tant que des meneurs d’humains, relève carrément du fabuleux et du pharamineux.  La troisième leçon est : qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire.  La biographie de Tante Fatimah illustre notre capacité d’organiser des choses grandioses dans des circonstances pratiquement impossibles.  Elle nous montre que l’organisatrice principale d’une rencontre qui établit un objectif, n’est pas obligée d’être le chef des opérations visant à matérialiser cet objectif.  Évidemment, celles-ci ne représentent que les leçons apparentes pour celle qui écrit.  Comme toujours, chaque personne qui se posera des questions, trouvera en elle les réponses construites par son expérience personnelle de la vie, ainsi que ses attentes particulières dans les temps et espace liés à sa démarche propre.

 

 

[1] Etienne Charlier, Aperçu historique sur la Nation haïtienne,

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